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La Controverse de Valladolid (1991) téléfilm de Jean-Daniel Verhaeghe
En 1550, à Valladolid, le pape envoie un de ses représentants pour présider une controverse dont l’objet est de savoir si les Indiens des territoires récemment conquis, dits « Indes Orientales », ont une âme.
Bartholomé de Las Casas, moine dominicain, défend la thèse d’un peuple pacifique dont la douceur originelle témoigne d’une grande spiritualité. Face à lui, le théologien Sepulveda soutient que ces « sauvages » sont proches de l’animal et n’ont pas été créés à l’image de Dieu : ils sont nés pour être esclaves et ne peuvent posséder ce que l’on appelle une âme.
Bartholomé de Las Casas démontre, par le récit des atrocités perpétrées par les « conquistadors », que ce sont des créatures humaines que, par un savant mélange de barbarie et de calculs, les « détenteurs de la vraie foi » ont décimées ou réduites en esclavage.
On a peine à imaginer le bouleversement que représenta probablement la découverte des « terres nouvelles », plus tard baptisées « Amériques », à la fin du 15ème siècle. Il suffit pour en avoir un aperçu de faire la somme des législations nombreuses, et quelquefois contradictoires, qui furent promulguées au début du 16ème siècle dans l’Espagne très catholique de Charles Quint et de son fils Philippe II.
Ces lois étaient édictées après d’interminables débats qui prenaient la forme de « controverses », sortes de procès attaquant et défendant, non un individu, mais une thèse, voire une idée. Bien évidemment la question de savoir si ces sauvages des Indes Orientales avaient une âme fut l’objet de plusieurs débats de fond. Au centre de ces débats, on retrouve toujours Bartholomé de Las Casas, ce Dominicain qui fut le premier moine ordonné aux Amériques, dans l’Île Espagnole (Saint Domingue) en 1513. D’abord « encomendero » (propriétaire d’une « encomendero », exploitation dirigé par un colon ayant tous pouvoirs sur des esclaves), Las Casas, écœuré par les exactions espagnoles, abandonnera toute participation à la colonisation pour défendre jusqu’à la fin de sa vie la cause des indiens, remettant en question le principe, intangible à l’époque, de l’esclavage. Les retombées notamment économiques des thèses de Las Casas ne manquèrent pas de lui attirer des haines tenaces dont certains écrits témoignent encore de nos jours.
Face à lui, Sepulveda, historiographe de Charles Quint et précepteur du futur Philippe II, est le symbole de l’obscurantisme à la fois religieux et « courtisan ». On dirait aujourd’hui qu’il incarne les forces « réactionnaires ».
Il est certain que ce téléfilm joue sur du velours en opposant cet inquisiteur froid et borné à la flamme humaniste de Las Casas. Mais c’est le mérite de Verhaeghe de nous montrer dans l’ambiance austère de ce « prétoire » de Valladolid ce que pouvaient être les mentalités de l’époque d’où émerge Las Casas, figure éminemment chaleureuse et moderne dont les écrits (parmi lesquels on trouve la superbe Très brève relation de la destruction des Indes) sont une leçon à tous les Sepulveda qui défendent encore les thèses racistes.
Les dialogues de Jean-Claude Carrière sont tirés directement des écrits de l’époque, compilés et à peine retouchés.
L’autre grande qualité du film, c’est, bien sûr, son interprétation : à la flamme de Marielle répond l’impitoyable froideur de Trintignant sous l’œil bienveillant de Carmet. Les trois grands comédiens donnent ici une brillante démonstration de leurs immenses talents que le huis-clos de Valladolid rend encore plus évidents.
La sobriété de la réalisation et l’ambiance apparemment calme du monastère souligne de façon saisissante le récit des atrocités fait par Las Casas, comme les propos tout aussi atroces de Sepulveda.
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